Amaryllis

Une montagne de terre noire devant moi, l’odeur de la boue et le son d’une radio qui camoufle les reniflements. Il fait froid et humide malgré la chaleur projetée à mes pieds immobiles dans mes bottes en plastique. Ils ne bougeront pas de la matinée, sauf pour se crisper afin de rétablir un semblant de circulation sanguine. Seules mes mains gantées seront en mouvement, mes pensées resteront circulaires et mes yeux à peine ouverts.

Une poignée de terre, un pot en plastique, un bulbe et une autre poignée de terre. J’étouffe cette fleur à devenir sous la terre noire et grasse. Je déteste cette plante qui m’enracine dans cet endroit. Lorsque mes doigts se referment sur le bulbe, c’est mon impuissance que j’étrangle. Pot, terre, bulbe, terre. Puis le pot maintenant rempli va rejoindre les autres sur le tapis roulant. Un autre pot, d’autre terre et la danse continue; deux milles fleurs sont étouffées par mes mains noircies de terre.

Au fil du temps, mes mouvements deviennent automatiques et mon esprit se libère de ce corps routinier. Après trente jours, je suis devenue une machine. Mon corps fait ce qu’il doit faire et ma pensée vagabonde. Mes malaises et mes malheurs sont dilués dans la terre. Seule dans mon monde intérieur je fleuris, comme la fleur que j’ai tenté de tuer.

Un jour la montagne de terre disparaît. Mon regard porte jusqu’à la rue devant. Je vois l’extérieur, mes yeux ont surmonté la noirceur. J’ai conquis la montagne. Un sourire qui n’a rien de mécanique effleure mon visage. Je termine ma journée de travail avec le sentiment d’accomplissement.

Le lendemain un nouveau chargement de terre vient obstruer mon horizon. Les pots et les bulbes rebondissent sur le sol.

C’est trop, je QUITTE!

Demain j’irai travailler à l’usine de tomates!